jeudi 30 janvier 2014

Gaulliste, tout court...

Cet homme-là, Charles de Gaulle, comptait beaucoup pour Yves Lecerf. Je me rappelle avec quelle satisfaction il aimait à dire, redire qu'il était le seul Gaulliste de la Fac de Vincennes - dont il fut aussi à l'origine, avec d'autres, et de Paris-8, et ce qu'elle devint à Saint-Denis. C'était sans doute vrai. Un spécimen unique de toute manière. Et il parlait comme une sorte de père de ses enfants turbulents et principalement maoïstes d'une certaine époque, en m'expliquant en même temps ce qu'était la "révolution culturelle" décidée par Mao. Compris. Tout le monde peut se tromper.
Et la création de cette Université folle qu'il aimait profondément, le rendait heureux. Cette fac aussi lui ressemblait. Un Gaulliste libertaire ? Ça existe pas !? Il aimait l'Université comme quelque chose qui l'avait en quelque sorte protégé, dans les difficiles moments qu'il avait vécu. Et il en fut l'un des grands hommes, un souvenir d'intelligence.
Il était fait d'une immense, intense curiosité, sans ou avec parti pris. L'important étant de chercher. Et si il trouvait, ce n'était qu'une réponse, il en restait d'autres à trouver. Et comme je l'ai dit, un as en calcul, qui cherchait aussi à justifier une baratinerie comme l'Astrologie. Et je le revois dans sa cuisine (avec ce pense-bête au mur: "Ne pas oublier de fumer une cigarette par jour"), à s'agiter pour trouver une solution réelle à sa passion pour cette science-là.

Le 18 juin a bouleversé sa vie, naturellement. Son père qui a décidé de suite de partir pour l'Angleterre, sa mère décidant de ne pas l'accompagner fût un choc pour l'enfant qu'il était. Yves avait 8 ans et son frère 10. Ce fût cependant une fierté qui ne quitta jamais Yves Lecerf. Fondatrice, formatrice. Et lui permettait peut-être, rassuré sur sa filiation, de se poser des questions annexes et importantes. Me parlant du mari de sa marraine, un polytechnicien qui lui donna envie de le devenir (par amour pour sa marraine comme il le disait), collabora sous Vichy. M'exposant un argument classique, du "il fallait bien diriger la France", classique et dangereux. Et compliqué. 
Mais en même temps ce que j'aimais, c'est qu'il me parlait d'un temps qu'il avait vécu, réellement. Le départ de son père. Sa mère qui devient assistante sociale et qui les élève à Montpellier (ou à Nîmes, j'ai oublié). Et comme les familles d'alors pour certaines étaient déchirées, bien pire que les engueulades politiques des soirs de Noël.

C'est très différent de connaître des gens qui ont été directement impliqués, que ceux qui en parlent intellectuellement, sans l'avoir vécu ou trop jeunes. Aux uns, pour certains, les avis tranchés, aux autres la réalité de familles décomposées et qui cherchent à comprendre pourquoi ils avaient tort, pourquoi ils avaient raison, pourquoi ils avaient même tort d'avoir raison.
Si Yves aimait avant-guerre le soupirant de sa marraine-fée, allait-il le juger après et le condamner comme il se doit ? C'était fait et par tous les tondeurs de femmes. C'est pourquoi on peut gloser à l'infini de l'amitié entre Mitterrand et Bousquet ou Malraux qui se fait aider par Drieu La Rochelle. Devait-on leut cracher à la gueule par principe et laisser pour Malraux sa femme courir à la mort ? Et Drieu La Rochelle avait-il envie que cette femme-là meurt ? Qu'est-ce qu'on veut savoir, sinon une réponse toute prête ? Etait-ce le prix à payer ?
Shame on you !? Si c'était la réponse, ça se saurait. Ça n'a jamais été la réponse d'Yves Lecerf, qui en la matière non plus n'en avait pas de réponse, tranchée.

Le Général parlait du père d'Yves Lecerf dans un endroit de ses Mémoires de guerre, dont-Yves n'avait que deux ou trois tomes. Et je n'ai jamais lu et le regrette à présent.
J'ai le souvenir d'Yves Lecerf arpentant sa maison en répétant mi-amusé mi-réellement triste : "Je suis orphelin... je suis orphelin". Son père a rejoint et organisé les troupes en Afrique du Nord. C'est bien plus tard qu'Yves m'annonça un jour que son père avait été de toujours un socialiste pur et dur. Alors je comprenais autrement le Gaullisme plutôt de droite d'Yves. Il avait une excuse, un cachet faisant foi. C'est comme si il voulait être plus royaliste que le roi, et aussi, je crois, être en accord avec sa position sociale. C'est important. Chercher la cohérence, et donc la réflexion. Yves n'a jamais eu de penchant socialiste. Rancunier. Mais je peux dire à présent, le dossier électoral d'Yves Lecerf  étant clos, qu'il a voté pour François Mitterrand en 1988. Satisfait, quand même, au fond. Réconcilié? Personne ne saura.
J'aimais nos discussions politiques. Nous n'étions pas du même avis, mais en parler, comprendre, en essayant de rester respectueux des positions de l'un de l'autre.
Un jour il m'apprit que son père était socialiste, un vrai Gaulliste de gauche. J'étais heureuse comme s'il s'agissait d'un grand-père de mon bord, et rendait le choix d'Yves d'être de droite autre, intéressant. Et le convaincre de voter Mitterrand plus facile.





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